Le 9 Juin 2022, j’ai eu le plaisir de participer à l’un des petits déjeuners proposés par la Mednum et la Banque des Territoires sur le sujet « Parlons Inclusion Numérique » : un sujet passionnant sur lequel je suis de plus en plus inviter à contribuer. La question posée à Guilhem Pradalié, Erwann Tison, Cécilia Lo Iacono, Julie Stein et moi-même était : « Numérique et emploi, au-delà des évidences, qu’en attendre en termes de transformation ?« .
Voici une synthèse de nos échanges :
L’inclusion numérique nécessite aujourd’hui une nouvelle définition pour englober :
- faciliter la recherche d’un emploi et l’accès aux droits,
- l’amélioration continue de l’employabilité dans un monde en évolution rapide,
- la conservation de la capacité à agir, penser, critiquer, créer, décider et faire société.
Tout le monde ne doit pas devenir codeur mais chacun doit être acculturé au numérique : pas pour être « modernisé de force » mais bien pour rester un acteur à part entière de la société et maître de son destin. A l’heure actuelle, nous demandons au citoyen de savoir utiliser l’outil (formulaires administratifs en ligne, etc.) et surtout pas de l’évaluer, le critiquer ou contribuer à sa création. Ceux qui sont considérés comme « inclus numériques » (par opposition aux publics en difficulté qui sont les exclus) ne le sont pas encore réellement et nous risquons d’exclure nos talents en ne leur donnant pas les moyens de repenser leur métier. Ce sont les DSI et les startups qui décideront si les experts métiers ne comprennent pas les enjeux numériques propres à leur activité.
Sans cadre de références numériques commun, les citoyens seront dépossédés de leur capacité à agir, à critiquer, à produire et à coconstruire les outils dont ils ont besoin. L’élite tech, avec ses biais et ses limites, devient une sorte de techno-clergé mettant à leur disposition de belles images, de belles interfaces ne répondant pas forcément à leurs besoins ou à leur vision du métier et du monde. Le numérique est pourtant l’allié des politiques publiques mais sans volonté de la part des élus, il ne permet ni de simplifier l’accès aux droits ni d’inclure le plus grand nombre.
Le politique doit enfin prendre conscience que le numérique est un changement civilisationnel. Il doit créer les conditions de choix démocratique et de débat pour définir ensemble quel numérique nous voulons pour quelle société.
Pour éviter cela, la classe dirigeante politique, économique et culturelle doit, elle aussi, cesser d’être hermétique aux questions numériques classées comme « geeks ». Que ce soit par incompréhension, manque de volonté ou de curiosité, le politique doit prendre conscience que le numérique est un changement civilisationnel et que sans eux aux commandes, il n’y aura pas d’infusion du numérique dans toute la société. A la différence des révolutions précédentes qui détruisaient l’emploi peu qualifié, la révolution numérique concerne toutes les strates socio-professionnelles, y compris les métiers les plus considérés. Demain, les fonctions à forte valeur ajoutée et non-automatisables seront très différentes (social, care, etc.). Il s’agit donc d’un enjeu politique critique si l’on souhaite construire un humanisme numérique conduisant à l’essor économique du pays.
Dès l’école, il faut enseigner un « globish » numérique permettant aux futurs citoyens de se comprendre dans un contexte aussi technologique que mouvant et de s’emparer des sujets essentiels. Être un « digital native » ne suffit pas à devenir un citoyen numérique éclairé. Cela doit devenir un élément du socle fondamental et être enseigné par des professeurs de français et de philosophie car le numérique est une autre manière d’écrire le monde et d’y construire son identité. Dans la formation professionnelle, chacun doit redevenir curieux et persuadé qu’il peut apprendre par lui-même et par ses pairs tout au long de sa vie. Dans son travail, il doit être suffisamment acculturé pour questionner l’outil et développer une complicité avec la machine plutôt que d’en accepter docilement les décisions ou les interprétations.
Pour cela, abandonnons le culte du diplôme, misons sur des soft skills bien identifiées pour les métiers de demain, soyons inclusifs dans la sélection et l’accompagnement personnalisé de profils diversifiés. L’objectif reste de répondre à la demande d’employabilité d’un marché en changement perpétuel tout en respectant les aspirations des personnes et les attentes des entreprises. Pour atteindre cet objectif, rappelons qu’il faut embarquer les gens qui ne se considèrent pas « légitimes » pour participer à la révolution numérique, faire tomber les barrières irrationnelles qu’ils se mettent concernant tout ce qui touche au numérique.
Stop au totalitarisme numérique ?
Et si le citoyen ne fait pas ce choix ? La tendance actuelle est à l’affirmation suivante : le numérique est obligatoire et inéluctable. Administrativement, on assiste même à une inversion de la charge car c’est au contribuable de disposer du matériel, de l’abonnement internet et des compétences techniques pour réaliser ses démarches en ligne. Stop au totalitarisme numérique ! Comprendre le numérique, c’est aussi être libre de ne pas l’utiliser : pas parce qu’on ne le maîtrise pas mais bien parce qu’on en a évalué les limites et pris une décision éclairée. Oui pour un numérique inclusif, encapaciteur et émancipateur mais le numérique doit rester un choix.